Le supplice de Chantal

Ce sont des choses insignifiantes, de petits riens qui rendent la vie belle et feront, peut-être, des souvenirs.

Nous sommes à table avec mon beau-père. Il est dur d’oreille, mais il tient à son rôle de pater familias : il fait le service. Au moment où je lui demande de me verser un peu de vin, il n’entend pas et repose la bouteille. Même chose pour le fromage : je m’apprêtais à en prendre et il éloigne le plateau.
— C’est le supplice de Tantale, lui dis-je.
— Quoi, Chantal ? répond-il. Qu’est-ce que Chantal vient faire là-dedans ?

Une seconde se passe, le temps de réaliser le quiproquo. Le supplice de Chantal nous fait partir d’un grand éclat de rire.

Ce fut aussi l’occasion de relire Homère et l’hallucinant chant XI de l’Odyssée où Ulysse voyage au royaume des morts :

Tantale [était] en proie à la torture, plongé debout jusqu’au menton dans un marais : toujours brûlant de soif, il ne pouvait atteindre l’eau car, chaque fois que le vieillard se penchait pour y boire, chaque fois l’eau fuyait, absorbée, tandis qu’à ses pieds apparaissait la terre noire asséchée par un dieu. Au-dessus de sa tête, de hauts arbres offraient leurs fruits, des poiriers, des pommiers aux fruits brillants, des grenadiers, des figuiers doux, des oliviers en pleine force : à chaque fois que le vieillard essayait d’y porter la main, le vent les rejetait vers les nuages sombres.*

* traduction Philippe Jaccottet

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